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Le prochain tab vous déplacera vers la carte. Utilisez ce lien pour passer la carte de la station.Depuis presque 35 ans, Renaud Lévesque pêche dans cette rivière à première vue sans attrait – à tort, ne serait-ce que pour ses plateaux et terrasses submergées, ses fosses et ses profondeurs. Il est 8 h du matin. Je suis arrivé la veille, de retour d’un séjour à Moncton et à Halifax et, de ma vie, j’aurais en tout et pour tout pêché deux fois à la mouche.
J’ai grandi en ville. Je vis en ville. Et j’aime ça. J’ai pêché sur la glace une fois, à Montréal. Je m’étais fait livrer du poulet dans ma cabane, située à environ 150 m du marché Bonsecours. Quoi de plus normal? Ici, à 350 km de Moncton et 500 km de la ville de Québec, c’est différent : il faut planifier un peu plus.
Renaud est sympathique, mais j’ai vite noté qu’il est plutôt avare de compliments. Je lance quelques coups. Il est assis devant moi dans la chaloupe, le regard tourné vers l’horizon, masquant à peine un mouvement de tête désapprobateur. Après quatre ou cinq lancers, il n’en peut plus : il se retourne et propose poliment de lancer, et moi, de ramer. Je lui cède ma canne et, au passage, un peu de ma virilité. La Matapédia est une rivière de taille moyenne, qui s’écoule vers le sud-ouest, en direction de la frontière entre le Québec et le Nouveau-Brunswick et de l’historique rivière Restigouche. On ne peut guère se tromper.
La Matapédia n’est pas totalement inconnue, mais elle demeure un trésor caché
Je n’avais jamais entendu parler de cette rivière avant de consulter de près la liste complète des arrêts de VIA Rail entre Montréal et Halifax. Je cherchais des endroits où m’arrêter et explorer, et la Matapédia semblait assez méconnue.
Faux. Si les Canadiens ne la connaissent pas, les Américains, eux, y viennent depuis des années – à l’instar du président Bush (père), Ted Williams, la légende des Red Sox, et Ettore Boiardi, plus connu sous le nom de Chef Boyardee. Ils débarquent à l’aéroport privé de Charlo, juste de l’autre côté de la frontière avec le Nouveau-Brunswick, et paient jusqu’à 700 $ par jour pour pêcher. Ils s’installent dans des gîtes comme le Road Brook, le Brandy Brook ou le Ristigouche Salmon Club (site en anglias seulement) – le plus emblématique d’entre tous, tellement exclusif qu’il n’a même pas d’enseigne. Renaud me révèle qu’un de ses clients, du New Hampshire, y vient quatre fois par an.
La pêche à la mouche – pas que pour les riches
Inutile de dépenser autant, toutefois. Avec un permis à 45 $, vous pouvez pêcher dans les sections de la rivière que la province n’a pas réservées à l’usage privé de ces gîtes. Là aussi, il y a du poisson. Je le sais, j’en ai vu un sauter juste devant ma canne, comme s’il savait que je n’avais pas assez payé pour avoir le privilège de jouer avec lui. Belle pièce, vous pouvez me croire.
Une histoire qui remonte loin
Si vous embarquez dans un canot et le laissez suivre le courant, vous finissez dans la Restigouche. C’est une rivière beaucoup plus imposante, aux allures d’affluent. C’est là que, en juillet 1760, la marine française et quelques Acadiens avaient espéré tromper les bateaux anglais à leurs trousses, sans succès.
Au lieu de tomber dans l’embuscade, les Britanniques ont viré de bord, engagé le combat, et gagné. Si cette bataille avait connu une autre issue, l’histoire du Canada aurait pris une autre tangente. En fait, ce lieu coincé entre Matapédia, au Québec, et Campbellton, au Nouveau-Brunswick, est le théâtre du tout dernier affrontement pour le Canada. Le capitaine anglais John Byron et le lieutenant français François La Giraudais n’ont pas la réputation de Wolfe et de Montcalm, mais la destinée du pays repose tout autant sur leurs épaules.
Le musée de Parcs Canada de Point-à-la-Croix se trouve à seulement 23 km à l’est, en suivant la Matapédia, où j’ai eu la noblesse d’épargner tous les poissons, sans exception. La magnifique bâtisse abrite des chaussures, des bottes et de l’argenterie du milieu du xviiie siècle, en parfait état de conservation grâce aux sédiments du lit de la rivière desquels ils ont été extraits dans les années 1970. Le musée, dont l’organisation et le personnel sont exemplaires, offre des vues magnifiques et, tout comme la bataille, gagne à être connu.
Avec une fréquence de trains tous les deux jours, vous pouvez passer une journée à Campbellton, la nuit dans la ville de votre choix, et le jour suivant à la pêche avant de sauter dans le train de retour, direction ouest. En été, vous pouvez loger dans une douzaine de gîtes, hôtels ou motels. En basse saison, comme je l’ai fait, restez à l’Auberge de la rivière Matapédia d’André Bélaieff, son fondateur, qui cuisinera aussi pour vous – du poisson, si vous avez la bénédiction de Saint-Pierre et Saint-André. (Au menu, pour moi, c’était du rosbif.)
Après six heures d’une journée qui en comptait dix, Renaud a eu pitié de moi et m’a rendu ma canne. Il ne hochait plus la tête. Lors d’un lancer, j’ai entendu un « hum » qui, de sa part, pouvait être pris pour un signe d’approbation. Cinq ou six lancers plus tard, j’ai eu droit à un « hum, bien » et, dans les dernières heures, il m’a vraiment fait plaisir en mentionnant que je m’en sortais bien avec des lancers de 40 m. Je jubilais encore pendant que nous remballions le matériel, le visage fendu d’un large sourire, même si je rentrais bredouille. Ce fut une bonne journée.
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